" Le sabre est l'âme du samuraï "
" Ne pas utiliser le sabre mais être le sabre "
Au Japon le sabre est un objet de respect, une manifestation de la Tradition à travers la transmission d'un héritage historique et mystique. Dans la mythologie shintoîste, le sabre est l'un des trois objets sacrés (avec le Miroir divin et la Chaîne de Joyaux) dont la déesse Amaterasu fit cadeau au Prince Ninigi lorsqu'elle lui confia la tâche de gouverner le monde.
Attribut fondateur de la lignée impériale japonaise, le sabre se transforma en élément représentatif des castes guerrières qui soutenaient le pouvoir en place. De part les valeurs d'honneur, de courage et de dignité que le bushi exaltait à travers son ascèse martiale, il était le seul à être digne de porter cette matérialisation terrestre du divin. Le samuraï cherchant à forger son corps et son esprit à l'aulne de l'acier, le sabre devint une incarnation de son âme. Dès lors, le sabre et son porteur se fondant en une entité unique, un kami (esprit divin) pouvait se manifester.
L'importance du sabre fut à l'origine d'une multitude de convenances sociales et spirituelles pour les japonais. Le sabre guidait la vie du samuraï, influençait sa relation à autrui tout comme il régissait le rapport de l'autre au samuraï.
A la naissance d'un fils de samuraï, un sabre était déposé auprès de l'enfant pour le protéger des esprits néfastes. A l'adolescence, on lui remettait un wakizashi (sabre court) et un nom d'adulte lors de la cérémonie du Genpuku. Arrivé à l'âge adulte, il recevait l'autorisation d'arborer le daisho (ensemble katana/wakizashi) en tant que samuraï.
Manquer de respect au sabre était une faute inexcusable exigeant réparation immédiate. Ainsi, le samuraï avait-il le droit de tuer sur place toute personne touchant son arme, fut-ce par inadvertance. (certains Ryu ont développé des stratégies martiales en ce sens, générant volontairement un contact sur leur arme pour avoir une "excuse" de trancher l'ennemi...).
Dans une maison amie, un samuraï retire son katana dans le vestibule et le place sur le râtelier prévu à cet effet. Chez un étranger, il pose son katana devant lui lorsqu’il s’agenouille sur le tatami. S’il est posé sur sa droite, de manière à ne pas pouvoir être dégainé facilement le samuraï affirme implicitement qu’il a confiance en son hôte. S’il le pose sur sa gauche, il laisse entendre qu’il se méfie de son hôte ou que ce dernier doit se méfier de lui. Si l’invité passe dans une autre pièce ou même dans un autre coin de la salle où il se trouve, il emmène son sabre.
Le wakizashi reste dans son obi, car il est trop court pour le gêner lorsqu’il s’agenouille. Il est malséant de poser le katana garde en avant, de manière à ce qu’elle soit face à l’hôte, car cela laisse entendre qu’il est trop maladroit avec cette arme pour s’en emparer et constituer un danger. Il est impoli de la part de l’hôte de porter des épées lorsqu’il reçoit un invité, mais elles se trouvent généralement non loin de là, sur leur râtelier.
A la mort du samuraï, son sabre était placé à côté de son lit funéraire afin permettre au rituel religieux de libérer l'âme du défunt. Le sabre était ensuite conservé et devenait un trésor familial.
Le sabre revêtant un caractère spirituel et mystique pour les japonais, l'art de la forge relève donc du domaine du sacré et se trouve placé sous la tutelle de kami favorables.
La fabrication d'un sabre implique des circonstances particulières et des rites précis. Ces rites d'origine shintoïstes sont rigoureusement formalisés et imprégnés d'un fort symbolisme.
Traditionnellement le commanditaire consulte un géomancien qui détermine une période propice. Ensuite, le forgeron se purifie par des pratiques ascétiques (jeûne, méditation), des ablutions et des offrandes aux esprits. Il se pare d'une tenue de cérémonie et place dans sa forge des éléments sacrés shinto (corde en paille, papier blanc plié).
Puis il invoque la divinité protectrice de la forge avant d'allumer rituellement le foyer. Seules les personnes consacrées sont autorisées à côtoyer la forge et le maître forgeron durant la trempe et la forge du sabre car la technique et la liturgie intimement imbriquées constituent un secret jalousement gardé.
Selon les japonais, la personnalité du forgeron, son état d'esprit au moment de la forge ou encore la nature du kami invoqué durant la fabrication de l'arme, avaient/ont une influence sur "l'âme du sabre". La célèbre légende de Masamune et Muramasa véhicule cette croyance. Il existe une multitude de variations sur le contexte de cette histoire, nous n'en garderons que l'esprit puisque ce récit n'est qu'un mythe (en effet Masamune et Muramasa ne sont pas contemporains.)
Masamune et Muramasa étaient deux talentueux forgerons dont les techniques s'égalaient. Masamune était d'un naturel calme et pacifique tandis que Muramasa était passionné et colérique. Afin de les départager une comparaison s'effectue entre deux de leurs oeuvres. La finesse, la résistance, la légéreté, l'équilibre, le tranchant et la beauté des deux sabres sont équivalents. On les trempe donc dans l'eau afin de comparer leur comportement.
Les feuilles portées par le courant sont systématiquement coupées en deux par l'arme de Muramasa tandis que celles-ci contournent sans dommage la création de Masamune. Le sabre forgé par Muramasa avait hérité de l'agressivité de son créateur et celui de Masamune son respect d'autrui. Dès lors, on distingua Masamune et Muramasa par l'aphorisme "sabre de vie, sabre de mort".